Prestation de serment et convictions religieuses

Publié le par Jean-Philippe Tricoit

Cass soc., 1er févr. 2017, RATP, n° 16-10459, P+B.

Le législateur de 1845, lorsqu'il adopta une loi sur la police des chemins de fer le 15 juillet de cette année (Bulletin des lois, 9e S, B 1221 n° 12095) imaginait-il que ce texte donnerait lieu à une interprétation par la Cour de cassation en l'an de grâce 2017 ?
L'article 23 de la loi du 15 juillet 1845 prévoit en substance que, pour entrer en fonctions, les agents de surveillance et les gardes des réseaux de transport doivent se plier à une prestation de serment reçue devant le Tribunal de grande instance. Cette disposition a été transférée dans le Code des transports (V. Art. 9, Ord. n° 2010-1307 du 28 octobre 2010, JO n° 255, 3 nov. 2010, p. 19645 ; Art. L. 2241-1, C. transp.) Dans une espèce du 1er février 2017 (Cass soc., 1er févr. 2017, RATP, n° 16-10459, P+B), convoquée pour la prestation de serment devant le président du tribunal de grande instance, une salariée de la RATP a proposé une formule de serment différente, conformément à sa religion chrétienne (car on ne jure pas), ce que le président du TGI refuse. La salariée est alors licenciée pour faute grave aux motifs qu'elle n'avait pas obtenu son assermentation devant le tribunal. Pour la Cour de cassation, le licenciement procède des convictions religieuses et est, de ce fait, discriminatoire, ce qui entraîne sa nullité. Sur ce point, la chambre sociale ne tergiverse pas : "il résulte de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer que le serment des agents de surveillance exerçant au sein des entreprises visées par cette disposition peut être reçu selon les formes en usage dans leur religion". En réalité, l'article 23 indique simplement qu'un serment a lieu sans fixer la formule de la prestation de serment. Dans le silence du texte, est ouverte une certaine liberté dans la réception du serment et dans la manière dont il peut être énoncé. L'option offerte à la salariée quant à la formule de la prestation de serment ne devait donc entraîner aucune difficulté de part et d'autre. La position d'un côté comme de l'autre manifeste toutes les crispations de notre époque qui vont à l'encontre du principe de base qu'est celui de la liberté. Cela vaut pour la juridiction qui, dans le silence des textes, aurait pu recevoir la prestation sans heurt et en toute liberté. Cela vaut également pour la salariée qui a aussi omis que la chrétienté repose sur le principe de la liberté : on peut très sincèrement douter de ce que la seule formule "Je le jure" soit attentatoire à ce point aux préceptes chrétiens. Peut-être en retenant une lecture (très) littérale de Matthieu 5.33-37 ? Sans malice et toutes proportions gardées (les exigences du secteur privé et du secteur public ne sont pas identiques), on notera l'article 48 de la Constitution de 1848 - contemporaine de la loi de 1845 - énonce qu' "avant d'entrer en fonctions, le président de la République prête au sein de l'Assemblée nationale le serment dont la teneur suit : - En présence de Dieu et devant le Peuple français, représenté par l'Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible, et de remplir tous les devoirs que m'impose la Constitution." Au milieu de cet océan d'incompréhension, l'employeur préféra licencier pour faute grave la salariée récalcitrante, ce qui lui fut fatal.

L'arrêt rendu par la chambre sociale le 1er février 2017 ne connaîtra pas la gloire de la multi-diffusion au sein de la communauté travailliste avec la marque "P+B+R+I". Cette décision s'est vue apposer les lettres "P+B". Cependant, ce n'est pas le premier passage de ce contentieux devant la chambre sociale. Par arrêt du 13 juillet 2016, publié celui-là (Cass. soc., 13 juill. 2016, n° 16-10.459, Publié), la chambre sociale avait refusé de renvoyer devant le Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845 en ce qu'il serait contraire au principe constitutionnel de laïcité. Pour rejeter cette QPC, la juridiction travailliste sise Quai de l'Horloge a estimé que "la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle [et] ne présente pas un caractère sérieux en ce que tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, sous la réserve que cette jurisprudence ait été soumise à la Cour suprême compétente". Le même arrêt ajoute "qu'il n'existe pas d'interprétation jurisprudentielle constante de la Cour de cassation selon laquelle le serment prévu à l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer ne pourrait être prêté au moyen d'une promesse solennelle ou suivant les formes en usage dans la religion de l'agent".

Pourtant, l'arrêt RATP aurait mérité une diffusion plus large pour deux raisons.

D'une part, parce qu'il s'agit d'une des rares décisions prononcées au visa de l'article 9 de la Convention EDH par la chambre sociale. De l'analyse de la jurisprudence sociale émerge deux contentieux sur ce fondement. Tout d'abord, dans une décision datant de 1993 (Cass. soc., 9 déc. 1993, n° 90-12.333, Bull. civ. V, n° 309, p. 210 ; contra : Burwell v. Hobby Lobby, 573 U.S. [2014], Case n° 13-354, JCP E n° 6, 5 févr. 2015, Chron., 1070, note Fr.-G. Trébulle), la chambre sociale considère que l'article 9 de la Convention EDH « ne confère pas le droit d'invoquer ses convictions pour s'opposer à l'affectation, quelle qu'elle soit, des cotisations sociales conformément à la législation en vigueur » (V. aussi Cass. soc., 5 mars 1992, URSSAF d'Ille-et-Vilaine, n° 88-11788, inédit ; V. plus récemment, Cass. 2e civ., 20 janv. 2012, n° 10-24.615 et n° 10-24.603, BICC n° 761, 1er mai 2012, n° 598, p. 34, JCP S n° 9-10, 28 févr. 2012, 1104, pp. 36-42, note Th. Tauran ; ainsi que Cass. 2e civ., 20 janv. 2012, n° 10-26.845 et n° 10-26.873, BICC n° 761, 1er mai 2012, n° 599, pp. 34-35). De même, dans la célèbre affaire " Baby Loup ", qui a trouvé son issue à la fois dans un arrêt d'assemblée plénière (Ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28369, Bull. civ., Ass. plén. n° 1) et dans une disposition nouvelle du Code du travail (Art. L. 1321-2-1, C. trav. : "Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché."), il convient de se souvenir que la chambre sociale avait statué au visa - timidement présenté - de l'article 9 (Cass. soc., 19 mars 2013, Association Baby Loup, n° 11-28.845, Publié).

D'autre part, la diffusion de la décision aurait pu être plus importante parce qu'il s'agit de la première véritable décision de la chambre sociale relative à la reconnaissance d'une discrimination fondées sur les convictions religieuses. En ce sens, la chambre sociale énonce que "la salariée n'avait commis aucune faute en proposant une telle formule et que le licenciement prononcé en raison des convictions religieuses de la salariée était nul". De cette manière, la chambre sociale de la Cour de cassation manifeste la conviction profonde que la liberté demeure le principe essentiel présidant à toutes relations, cette conviction étant ancienne et constante en jurisprudence que ce soit en France (V. Cass. crim., 17 sept. 1883, Bull. crim. n° 237 ; Cass. crim., 8 mars 1924, Bull. crim. n° 117) ou en Europe (V. par exemple, CEDH, 3 juin 2010, Dimitras et al. c/ Grèce, Req. n° 42837/06, 3237/07, 3269/07, 35793/07 et 6099/08).

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