Immunité juridictionnelle des organisations internationales (OCDE)
Cass. soc., 29 sept. 2010, OCDE, n° 09-41.030, inédit.
Faisant apparaître que le personnel de l'OCDE, qui n'a pas adhéré à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, disposait, pour le règlement de ses conflits de travail, d'un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité, ce dont il se déduisait que la procédure instituée par l'organisation internationale n'était pas contraire à la conception française de l'ordre public international, cette organisation était fondée à revendiquer le bénéfice de son immunité de juridiction.
Texte de la décision :
Sur le moyen unique :
Attendu selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 janvier 2009) que Mme X... a été engagée comme consultante par l'Organisation de coopération et de développement économique, (OCDE) par contrat du 21 mai au 20 juillet 2001 renouvelé jusqu'au 31 décembre 2006, date à laquelle l'OCDE y a mis fin ; que contestant la rupture de ce contrat et sollicitant sa requalification en contrat à durée indéterminée, Mme X... a saisi le conseil de prud'hommes de Paris ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rejeter le contredit de compétence et de dire le conseil de prud'hommes incompétent pour connaître du litige en raison de l'immunité de juridiction dont bénéficie l'OCDE, alors, selon le moyen :
1°/ que les juridictions françaises ne peuvent se déclarer incompétentes pour connaître d'un litige mettant en cause une organisation internationale, en raison de l'immunité de juridiction que les traités constitutifs de cette organisation lui accordent, qu'à la condition que ce litige puisse faire l'objet d'un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité conformes à la conception française de l'ordre public international et à l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en particulier, un conseil de prud'hommes ne peut se déclarer incompétent pour connaître d'un litige opposant une organisation internationale à l'un de ses salariés si cette organisation n'a pas institué en son sein un tribunal chargé de trancher les différends découlant de la relation de travail selon une procédure conforme à la conception française de l'ordre public international et répondant à la notion de procès équitable au sens de l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le mode de désignation et la durée des mandats des membres du tribunal sont un gage de leur indépendance par rapport aux parties ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les membres du tribunal administratif institué par l'OCDE, qui est chargé de juger les litiges d'ordre individuel auxquels peut donner lieu une décision du secrétaire général prise soit de sa propre autorité, soit en application d'une décision du conseil, sont précisément désignés par le conseil et que leur mandat est d'une durée limitée de trois ans ; que néanmoins, écartant ces éléments démontrant la dépendance du tribunal administratif à l'égard de l'organe dont il peut être chargé de juger les décisions, la cour d'appel a estimé que ce tribunal administratif répondait aux exigences de l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, dès lors qu'est exigée, pour la désignation de ses membres, une «impartialité et une indépendance certaine» et que leur rémunération, quoique versée par l'OCDE, est prédéterminée et fixe ; qu'en se fondant sur ces motifs inopérants pour apprécier l'indépendance effective des membres de ce tribunal, la cour d'appel a violé la conception française de l'ordre public international et l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que Mme X... faisait valoir que le manque de stabilité de la composition de ce tribunal avait été dénoncé par le secrétaire général de l'OCDE, qui suggérait de renouer avec la pratique antérieure de renouvellement des mandats ; qu'il en résultait que les mandats des membres du tribunal étaient renouvelables ce qui, ajouté à la courte durée des mandats et à la nomination des juges par le conseil, était de nature à peser encore davantage sur l'indépendance de ce tribunal ; qu'il en résultait également que le secrétaire général de l'OCDE pesait sur la nomination des membres du tribunal administratif ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les mandats des membres du tribunal institué par l'OCDE pour juger des litiges l'opposant à son personnel étaient renouvelables et si la nomination de ces juges n'intervenait pas, en pratique, sur décision du secrétaire général, la cour d'appel a privé sa décision de motif au regard de la conception française de l'ordre public international et de l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que le droit au procès équitable implique non seulement que le tribunal présente des garanties d'indépendance et d'impartialité, mais aussi qu'il ait l'apparence d'un tribunal indépendant et impartial ; qu'en l'espèce, Mme X... faisait valoir que le tribunal administratif institué par l'OCDE pour trancher les litiges l'opposant à son personnel ne présentait pas l'apparence d'un tribunal indépendant, en raison du mode de désignation de ses membres et de leur statut d'«experts du conseil» ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le statut des membres du tribunal administratif institué par l'OCDE ne le privait pas d'un aspect essentiel d'un tribunal indépendant, la cour d'appel a privé sa décision de motif au regard de la conception française de l'ordre public international et de l'article 6 §1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°/ que la publicité des débats est une garantie essentielle de l'impartialité du tribunal ; que si des exceptions au principe de la publicité des débats sont admises, encore faut-il qu'elles soient justifiées par des circonstances particulières ; qu'en l'espèce, l'article 10 de la résolution du conseil de l'OCDE sur le statut et le fonctionnement du tribunal administratif autorise ce dernier à prononcer un huis clos, d'office ou à la demande de l'une des parties, éventuellement pour une seule partie des débats ; qu'il est donc loisible au tribunal administratif de l'OCDE de prononcer le huis clos en toute circonstance, sans avoir à motiver sa décision ; qu'en affirmant que l'exception au principe de la publicité des débats doit être motivée, pour dire que ce tribunal se prononce selon une procédure conforme aux exigences de l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a violé l'article 10 de la résolution du conseil de l'OCDE sur le statut et le fonctionnement du tribunal administratif, la conception française de l'ordre public international et l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5°/ que la circonstance que le juge statue en matière disciplinaire ne justifie pas à elle seule qu'il soit porté atteinte au principe de publicité des débats ; qu'en affirmant que la publicité des débats est assurée, dans le principe, devant le tribunal administratif institué par l'OCDE, cependant qu'elle avait constaté que, selon l'article 10 de la résolution du conseil de l'OCDE sur le statut et le fonctionnement du tribunal administratif, le huis clos est de droit pour toute affaire relative à des questions de discipline, la cour d'appel a violé l'article 10 de la résolution du conseil de l'OCDE sur le statut et le fonctionnement du tribunal administratif, la conception française de l'ordre public international et l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
6°/ que le droit à un recours effectif implique le droit à un premier juge de pleine juridiction, mais aussi à un juge d'appel ou, à tout le moins, à un juge de cassation ; que la cour d'appel a constaté que les seuls recours possibles à l'encontre des décisions du tribunal administratif sont le recours en rectification, le recours en révision et le recours en interprétation, ce qui exclut toute possibilité d'appel ou de pourvoi en cassation ; qu'en jugeant néanmoins que la procédure instituée par l'OCDE pour trancher les litiges qui l'opposent à son personnel respecte les droits fondamentaux du justiciable, la cour d'appel a violé la conception française de l'ordre public international et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que la cour d'appel a constaté d'une part, qu'aux termes des articles 16 et 22 du statut du personnel de l'OCDE, il a été institué au sein de cette organisation un tribunal administratif dont la mission est de juger les litiges d'ordre individuel, que ce tribunal comprend trois juges qui sont désignés par ce conseil, organe composé des représentants des Etats membres de l'OCDE, pour une durée de trois ans en dehors du personnel de l'organisation, parmi des personnes offrant des garanties d'impartialité et qui sont des juristes ou d'autres personnes hautement qualifiées en droit du travail ou de la fonction publique, ou dans le domaine des relations du travail, et qui, aux termes de l'article 8 de l'annexe II du statut "exercent leurs fonctions avec impartialité et en toute indépendance", a relevé d'autre part, que les séances sont publiques, à moins que le tribunal n'en décide autrement d'office ou à la demande des parties, que les dates des séances sont publiées sur une liste accessible aux agents, aux délégations, et à l'association du personnel, que les jugements sont rendus par écrit ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, faisant apparaître que le personnel de l'OCDE, qui n'a pas adhéré à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, disposait, pour le règlement de ses conflits de travail, d'un recours de nature juridictionnelle comportant des garanties d'impartialité et d'équité, ce dont il se déduisait que la procédure instituée par l'organisation internationale n'était pas contraire à la conception française de l'ordre public international, la cour d'appel a exactement décidé que cette organisation était fondée à revendiquer le bénéfice de son immunité de juridiction ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille dix.