Portée de la transaction rédigée en des termes (très) généraux

Publié le par Jean-Philippe Tricoit

A la lecture de l'arrêt prononcé par la chambre sociale de la Cour de cassation le 30 mai 2018 (Cass. soc., 30 mai 2018, société Ted C., n° 16-25426, Publié), la chambre sociale de la Cour de cassation porte définitivement un coup fatal au contentieux de la nullité de la transaction vers le néant. Est ainsi réduite de façon drastique la possibilité d'obtenir l'annulation d'une transaction.
Régulièrement, la nullité de transaction était attaquée sur les fondements notables des articles 2048 et 2049 du Code civil.
Selon le premier texte, " les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu."
En vertu du second, " les transactions ne règlent que les différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé."

En substance, dans l'arrêt du 30 mai 2018. la chambre sociale estime que la transaction peut être dotée d'une formule extrêmement générale de renonciation à toute action de la part du salarié. En l'espèce, le juge d'appel avait accédé à la demande de nullité de la transaction présentée par le salarié dans la mesure où "la transaction avait pour objet de régler les conséquences du licenciement, qu'il n'est pas fait mention dans cet acte du cas particulier de la retraite supplémentaire du salarié licencié, et qu'il n'existait aucun litige entre les parties concernant la retraite supplémentaire dont la mise en œuvre ne devait intervenir que plusieurs années plus tard".

Pourvoi en cassation est formé.
L'arrêt d'appel est cassé.
A priori, les termes très généraux sont admis même s'ils englobent sans que puisse être attaquée la validité du protocole transactionnel.
Effectivement, la portée de la transaction ne pouvait guère être plus générale : "aux termes de la transaction, le salarié déclarait avoir reçu toutes les sommes auxquelles il pouvait ou pourrait éventuellement prétendre au titre de ses relations de droit ou de fait existant ou ayant existé avec la société et renonçait à toute réclamation de quelque nature que ce soit, née ou à naître ainsi qu'à toute somme ou forme de rémunération ou d'indemnisation auxquelles il pourrait éventuellement prétendre à quelque titre et pour quelque cause que ce soit du fait notamment du droit commun, des dispositions de la convention collective, de son contrat de travail et/ou de ses avenants et/ou tout autre accord, ou promesse et/ou découlant de tout autre rapport de fait et de droit".
Cela étant, le contentieux de la nullité de la transaction n'est pas encore prêt de se tarir puisque la nature de ce contentieux opérera une mutation vers celui de l'interprétation de la formule employée pour interroger son champ d'application, sa portée et son contenu.
Certes, dans l'arrêt du 30 mai, la chambre sociale de la Cour de cassation estime que les formules à rallonge ne sont pas des motifs de remise en cause de la validité de la transaction ; cependant, dans la pratique, les professionnels, les rédacteurs et les plaideurs sont désormais informés de la portée de la formule générale d'une transaction ; bien fol(le) ou bien stupide serait celle ou celui qui accepterait de conclure une telle transaction.
Peut-être peut-on considérer l'arrêt du 30 mai 2018 et ses précédents (Cass. soc., 5 nov. 2014, société Le Joint français, n° 13-18.984, JCP S n° 43, 31 mars 2015, pp. 42-43, note A. Bugada ; Cass. soc., 11 janv. 2017, SAS Honeywell Aftermarket Europe, n° 15-20.040, Publié) comme salvateurs dans la mesure où les parties ne pourront plus se contenter de formules préétablies et devront négociées et individualisées leur transaction.
Par ailleurs, jusqu'où peut s'étendre une renonciation en termes généraux ? Le salarié peut-il renoncer à toute action contre l'une quelconque des sociétés composant un groupe d'entreprises alors même qu'il n'a entretenu aucune relation contractuelle ? N'existe-t-il aucune frontière à la généralité ? Les termes d'une transaction ne peuvent-ils être trop généraux ?
Au delà, la jurisprudence des "termes généraux" va-t-elle s'étendre à d'autres documents rédigés dans le cadre de la relation de travail ? L'effet relatif des contrats semble s'y opposer
On pense par exemple au reçu pour solde de tout compte (C. trav., art. L. 1234-20).
A cet égard, il a été jugé par la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 18 décembre 2013, n° 12-24.985, Publié), que le reçu pour solde de tout compte est régi par l’article L. 1234-20 du Code du travail, dont il résulte, " dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, d’une part, que l’employeur a l’obligation de faire l’inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail, d’autre part, que le reçu pour solde de tout compte n’a d’effet libératoire que pour les seules sommes qui y sont mentionnées, peu important le fait qu’il soit, par ailleurs, rédigé en des termes généraux ".

 

Publié dans MARC (Transaction)

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